Mi-mars, en plein confinement en Normandie, Laetitia Vitaud et son conjoint Nicolas Colin se posent beaucoup de questions existentielles. “Nous avions envie de prendre la parole et de travailler ensemble.” Ainsi naît “Nouveau Départ, le média de la crise et de la transition” avec la volonté pour eux d’en tirer un revenu dans ce monde incertain pour des indépendants. Laetitia Vitaud est autrice : elle a publié en 2019 le livre Du Labeur à l’ouvrage, elle anime la newsletter gratuite Laetitia@work sur le futur du travail et le féminisme, et elle est aussi rédactrice en en chef pour la startup Welcome to the jungle. Quant à Nicolas Colin, cofondateur de l’accélérateur de startups The Family, il est spécialiste du monde numérique et édite la newsletter “European Straits”.
“Nouveau Média” a démarré en vidéo mais les tests sur ce format ne sont pas révélés concluants : format trop complexe à produire. La newsletter inclut finalement des contenus écrits - éditos ou notes de lecture - ainsi que les épisodes du podcast “A Deux Voix”, réservés aux abonnés. Tout l’enjeu est en effet de convaincre l’audience de soutenir le projet à hauteur de 150 euros par an. Résultat au bout de 6 mois : environ 5% des inscrits - 3000 en tout - sautent le pas du payant.
La suite est déjà en construction : “Building Bridges”, sorte de version européenne de “Nouveau Départ”, propose des interviews sous forme de podcast en anglais, déclinées en français, allemand et bientôt espagnol.
Pour aller plus loin
Laëtitia Vitaud est présente sur LinkedIn et sur Twitter.
“Nouveau Départ” a sa page LinkedIn, sa chaîne YouTube, son compte Twitter.
L’essentiel de l’épisode
[06:25] Les usages du podcast ont évolué. Les gens avaient l’habitude de les écouter sur le chemin du travail, un demi-épisode le matin et l’autre le soir. Le confinement a créé de nouveaux usages : en faisant la cuisine ou en faisant son sport. On y revient d’autant plus qu’on en a marre d’avoir les yeux rivés sur l’écran, le fameux tunnel zoom.
[06:43] Une fois qu’on a levé le verrou technique, sur les outils et la qualité du son, il y a quand même un petit coût d’entrée. Après, il n’y a plus de limite. Les gens sont plus disponibles.
[08:00] Nouveau Départ est une newsletter : les abonnés qui paient un abonnement reçoivent des contenus exclusifs, le podcast “A deux voix”, qui est une conversation avec nos deux approches différentes qui est différent de ce qu’on entend à la radio. On en fait deux fois par semaine.
Le chapeau, c’est “le média de la crise et de la transition”. On a compris que la crise actuelle accélère un certain nombre de phénomènes en germe et qui nous font passer d’un paradigme à un autre. Le prisme de Nicolas c’est l’économie numérique et l'entrepreneuriat. Mon angle de travail est le futur du travail, les transformations des organisations.
[13:43] La newsletter permet d’envoyer des formats différents. Le lundi par exemple on envoie un édito écrit avec une version audio et à tous nos inscrits.
[15:39] La newsletter est du coup plutôt un canal mais cela a ceci de particulier que ça crée un lien différent avec les abonnés : il suffit de répondre pour interagir directement avec la personne qui crée le média et de manière beaucoup plus intime, plus direct. Pas du tout comme de laisser un commentaire au bas d’un article ou d’un blog de manière anonyme. Là c’est toujours plus constructif.
[17:20] On a largement dépassé les 100 abonnés. C’est intéressant de regarder la courbe. Au début ce temps qu’on passe pour très peu d’abonnés , ça semble pas du tout rentable. Et arrive un moment quand ça progresse, on voit que ça commence à valoir la peine, et puis on commence à envisager d’acheter du matériel, d’avoir des personnes qui nous aident.
[19:02] Un média comme ça finalement c’est une startup : toucher le plus de gens possible, tu attires un maximum de gens avec du contenu gratuit, tu les habitues et puis un jour certains passent le pas du payant. Donc le défi c’est de savoir ce qui va leur faire franchir le cap, en faisant découvrir par exemple notre podcast, ou avec des opérations spéciales.
[21:05] Environ 5 et 10% inscrits sont abonnés et on doit être à un peu moins de 3000 inscrits, avec à peu près 5-6% abonnés.
[23:05] Il y a quelque chose de très personnel, c’est une relation qui s’établit. Soit ils aiment cette manière de voir le monde, en particulier pour l’un de nous deux. C’est nous qu’on vient suivre. Souvent des gens avec lesquels on a déjà interagi, par exemple lors d’une conférence.
[28:45] Dans un monde qui se polarise, où on cherche des choses tranchées, singulières, le côté “média fourre-tout”, qui ne se mouille pas, sans identité, c’est pas forcément ce que les gens viennent chercher. Pour un accès à l’information brute, oui, mais seules quelques institutions pourront jouer ce rôle.
[29:27] On voit émerger des modèles singuliers, d’individus, souvent des anciens journalistes, qui décident de faire disparaître cet intermédiaire qu’est le média traditionnel et vont s’adresser directement à une communauté, parfois ils ont même déjà construit une audience.
[32:24] Est-ce qu’il y a de la place pour tout le monde ? Dans cette phase de conquête, il y a des gens qui vont prendre des places. Mais à un moment il va y avoir saturation.
[33:10] Pour arriver à 100 abonnés prêts à payer, il faut en avoir touché 10-20 000. C’est pas un hasard si beaucoup de ceux qui réussissent à en vivre sont des journalistes car il vaut mieux avoir une audience au départ.
[34:10] En théorie les grands médias ont une opportunité extraordinaire de recruter des talents et de redevenir plus glamour auprès d’une audience qui évolue, comme à l’époque des blogueurs. C’est ce qu’avait fait New York Times avec le blog FiveThirtyEight de Nate Silver pour les élections de 2012.
[35:25] Ces stars de la passion economy deviennent des médias eux-mêmes et ils perdraient en liberté, indépendance, autonomie sans gagner forcément en notoriété. Il faudrait pouvoir les détecter au bon moment, avant qu’ils soient des superstars et ça nécessiterait de prendre des risques, d’être très curieux des petites pousses. J’ai pas l’impression que les grands médias fassent ça. Et j’ai l’impression que les grands médias font cela avec beaucoup de retard.
[38:11]Pour exister dans la passion economy il faut pouvoir dire “je”, exister comme une personne singulière, avoir une identité éditoriale très claire, une niche.
[38:51] Il faut se lancer ! Créer un média c’est un véhicule pour créer son identité dans un contexte où il faut construire une réputation, un réseau. Beaucoup de podcasts que j’aime bien sont partis comme ça. Ils l’ont fait au début sur une volonté d’apprendre, pas immédiatement avec l’idée d’en faire quelque chose de rentable. Et finalement ils en ont fait quelque chose d’unique, et se sont créé un revenu.
Crédits
Interviews : Jean-Baptiste Diebold,
Idée originale : Elise Colette et Jean-Baptiste Diebold
Design graphique : Benjamin Laible
Générique et habillage sonore : Boris Laible
Intégration web : Florent Jonville
Production : Ginkio